Le Grand Largue

Une architecture qui conjugue artisanat, paysage gaspésien et matérialité durable.

  • Architecte | atelier vert forêt

    Ingénieur en structure | Génifusion

    Entrepreneur spécialisé en chanvre | ArtCan

    Fournisseurs | Shalwin, Léon Chouinard et Fils, Fondations LD, Cheminée Chaleur, Revêtement Métallique FR

  • Client | Le Grand Largue

    Localisation | Miguasga, en Gaspésie

    Année | 2024-2025

    Statut | En chantier

    Type de projet | Maison unifamiliale

    Superficie | 1 765 pi2

En Gaspésie, atelier vert forêt a conçu une résidence contemporaine qui réinterprète les formes rurales vernaculaires à travers le prisme de l’innovation durable. Le projet incarne une quête d’autonomie, d’ancrage et de sobriété constructive. Il explore le potentiel architectural de murs en béton de chanvre préfabriqués en atelier. Le système associe une ossature en bois et un remplissage compacté à la main, garantissant une mise en œuvre contrôlée et une qualité difficile à atteindre directement sur chantier. Cette approche unit le geste artisanal et la rationalité d’un procédé reproductible.

Confrontée au climat maritime de l’est du Québec, la maison répond à des défis de performance : gestion de l’humidité, protection contre les vents dominants, réduction des ponts thermiques et durabilité des enduits à la chaux soumis aux cycles gel-dégel. L’enveloppe agit comme un système respirant et hygroscopique, régulant naturellement le confort intérieur.

Au-delà de l’innovation technique, Le Grand Largue explore une expression architecturale fondée sur la beauté des matériaux à l’état brut : la douceur minérale du chanvre contraste avec la chaleur du bois, tandis que l’implantation et la lumière filtrée composent une architecture bioclimatique, ancrée dans le paysage gaspésien. La maison se veut à la fois habitation et prototype, une étape concrète vers un modèle constructif bas carbone et biosourcé adapté aux climats nordiques. 


Une finition sans panneaux de gypse.
Des murs sans membranes pare-vapeur, ni pare-air.
Une maison vivante qui respire.

Le contexte

Implantée sur un terrain agricole et vallonné de Miguasha, la maison suit un axe nord-sud et épouse la topographie du site. Ce positionnement ouvre des vues étendues sur Carleton-sur-Mer et la Baie des Chaleurs, tout en limitant les ouvertures à l’ouest exposés au vent. Des essences forestières du terrain ont été sciées et intégrées à la construction, notamment pour réaliser le lattis de bois supportant les enduits de finition intérieure.


Un habitat évolutif

Dès les premières esquisses, l’un des fils conducteurs du design a été la volonté de créer un habitat évolutif, capable de répondre à la fois aux besoins du moment et à ceux à venir. Deux terrasses encastrées structurent le rapport au paysage : l’une intime à l’est adossée à la chambre principale et baignée par un puits de lumière ; l’autre modulable à l’ouest grâce à des panneaux coulissants créant un microclimat, surtout avec la présence d’un poêle à bois à l’extérieur qui permet de profiter de cet espace à l’automne et même en hiver. Ces espaces extérieurs prolongent les usages et facilitent les circulations d’est en ouest. 

Des panneaux coulissants sur rail faits sur mesure permettent de moduler la lumière et l’intimité. Ces écrans en bois obstruent jusqu’à 70 % du rayonnement solaire, créant une architecture vivante, mobile, réactive aux saisons et à l’usage. Il est donc possible de proposer de larges ouvertures pour cadrer le paysage tout en limitant les surchauffes. Les nombreuses façades en retrait, les alcôves et les terrasses couvertes participent également à la protection solaire en été, alors que leurs dimensions ont été réfléchies pour laisser pénétrer les rayons du soleil en saison plus froide. 


Approche passive

Plan en coupe

Le Grand Largue s’inscrit dans une réflexion fine sur le confort, non pas artificiel, mais passif et intelligent, inspiré des principes du bioclimatisme. La maison tire parti des qualités intrinsèques de ses matériaux et de son implantation soignée dans le paysage. La ventilation naturelle est favorisée par l’alignement des ouvertures est-ouest et par les terrasses traversantes, qui génèrent un effet de tirage transversal. La maison intègre également une dalle chauffante hydronique couvrant l’ensemble de la surface habitable. Deux poêles à bois à haut rendement complètent le système. Ils sont intégrés dans des masses thermiques en béton de chanvre, dont la capacité calorifique permet de stabiliser les fluctuations thermiques et de prolonger la restitution de chaleur pendant plusieurs heures. 

L’architecture fonctionne ainsi comme un véritable régulateur de climat intérieur, réduisant drastiquement les besoins en systèmes mécaniques et en espaces techniques. Dans un contexte où la majorité des habitations québécoises s’appuient sur des équipements complexes, cette maison démontre qu’une combinaison réfléchie de matériaux naturels, d’inertie et de bioclimatisme permet d’obtenir un confort remarquable en simplifiant l’équipement technique et en diminuant la demande énergétique globale.

Aucun gypse

Les enduits naturels, composés de sable, de chaux et d’eau, offrent une finition saine, durable et entièrement respirante. Sans COV, naturellement alcalins et dotés de propriétés antibactériennes, ils améliorent la qualité de l’air et contribuent à un environnement intérieur pur et équilibré. Dans une époque dominée par la standardisation industrielle, ce travail manuel porte en lui une précision artisanale unique. 

À l’extérieur, sur les murs protégés des intempéries, les enduits ont volontairement été laissé apparents, révélant leur texture brute et authentique. Appliqués à la truelle, ils portent la trace du geste de l’artisan, ajoutant une dimension sensible et humaine à l’enveloppe du bâtiment. À l’intérieur, le refus d’utiliser du gypse n’est pas un simple choix technique, mais une prise de position architecturale. Il s’agit de proposer une alternative durable et expressive à ce matériau devenu omniprésent. Les enduits remplacent les surfaces planes et figées par des parois plus vibrantes et respirantes. Ce choix influence non seulement l’esthétique, mais aussi l’acoustique et la perception sensorielle des lieux : les espaces sont feutrés, chaleureux, et dégagent une atmosphère enveloppante qui contraste avec la froideur de la construction conventionnelle.


Aucune membrane : des murs en chanvre qui respirent

Produit à partir de chènevotte, de chaux et d’eau, ce matériau biosourcé offre une réponse concrète à l’architecture sans plastique, réduisant drastiquement l’usage de membranes synthétiques et de matériaux issus de la pétrochimie. Le béton de chanvre agit comme un isolant à faible conductivité tout en offrant une perméabilité à la vapeur élevée, ce qui permet à l’enveloppe de rester complètement perspirante. Lors de la carbonatation, la chaux capte progressivement le CO₂ atmosphérique, augmentant la dureté du matériau au fil des mois. Dans le contexte actuel, la filière québécoise du chanvre à l’échelle du bâtiment étant encore émergente, le projet illustre l’intérêt de structurer une production locale adaptée à la construction.

La préfabrication

La méthode de préfabrication combine le savoir-faire traditionnel et les exigences d’un chantier contemporain. En atelier, les murs sont montés dans des coffrages en bois autour d’une ossature en bois (2 x 6’’), le béton de chanvre étant mis en place et soigneusement compacté pour assurer une qualité constante. Bien qu’artisanal, ce processus est d’une grande rigueur : il permet de contrôler la qualité, limiter les déchêts et réduire significativement les délais sur chantier. Là où un coulage sur place aurait nécessité jusqu’à deux mois de séchage, les murs préfabriqués peuvent être séchés en atelier, livrés après quelques semaines et assemblés en une journée selon l’envergure du projet.

L’installation des murs

En quelques heures seulement, la maison s’est dressée face au paysage de la baie des Chaleurs. Si le chantier a pu se dérouler de manière fluide, c’est grâce au travail en amont : une approche constructive fondée sur la coopération étroite entre architecte, artisans et clients. Cette configuration atypique, sans entrepreneur général, repose sur la confiance et la communication. Chaque décision, des ateliers de conception jusqu’au chantier, a été partagée et discutée collectivement. L’architecte devient alors accompagnateur, transmettant intentions et détails tout en laissant place à l’expertise des artisans.

La lumière naturelle devient un élément architectural à part entière. Elle pénètre en douceur à travers les grandes ouvertures orientées selon les vues et les usages. Le puits de lumière au-dessus de la terrasse éclaire subtilement les espaces au lever du jour, créant un rythme lumineux qui évolue au fil de la journée. Les surfaces en enduit de chaux-sable et les plafonds en bois diffusent cette lumière avec une grande douceur, renforçant le caractère chaleureux et enveloppant de l’habitat. 

En s’inscrivant dans une recherche plus large sur la préfabrication durable, cette résidence met de l’avant la manière dont les architectes peuvent guider l’innovation matérielle, non seulement par la technologie, mais par une intégration poétique du climat, du geste et du territoire. 

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