
Le Grand Largue
Une maison en béton de chanvre qui conjugue artisanat, paysage gaspésien et matérialité durable.
Réalisé avec Art Can, maison en chanvre
Miguasha en Gaspésie, 2025
Située sur les hauteurs de Miguasha en Gaspésie, au cœur d’un terrain de 160 acres, cette maison est le fruit de deux passionnés qui ont choisi l’autoconstruction pour concrétiser leur vision d’un habitat écologique, sain et inspiré par le territoire. Le projet, baptisé Le Grand Largue, reflète une quête d’autonomie, d’ancrage et de simplicité constructive. Sans entrepreneur général, ils ont orchestré chaque étape de la construction en gérant eux-mêmes les sous-traitants pour le béton de chanvre, la charpente, l’électricité, la plomberie, la couverture et les fenêtres. Ils ont pu ainsi réduire les coûts tout en se donnant une liberté précieuse sur le plan des décisions. Cette approche, exigeante, les engage à temps plein sur un chantier ambitieux de près d’un an.
Matérialité vivante :
le béton de chanvre
La redécouverte du béton de chanvre comme matériau contemporain s’inscrit dans une volonté d’ancrer l’architecture dans un langage local, saine et durable. Jadis emblème de l’autoconstruction alternative, le chanvre s’élève ici au rang de matériau d’exception grâce à une lecture architecturale sensible, qui en révèle la beauté brute, les performances thermiques et la cohérence environnementale. Produit à partir de chènevotte, de chaux et d’eau, ce matériau biosourcé et perspirant offre une réponse concrète à l’architecture sans plastique, réduisant drastiquement l’usage de membranes synthétiques et de matériaux issus de la pétrochimie.
Son pouvoir de régulation thermique et hygrométrique, sa capacité à absorber le CO₂ pendant sa mise en œuvre, et sa texture organique en font un matériau à la fois performant et poétique. Le projet met à profit le béton de chanvre non pas comme une simple couche d’isolation, mais comme élément structurant du langage architectural, visible et assumé, en particulier à l’intérieur de la maison et dans certaines zones extérieures protégées par les débords de toit. Il redevient un matériau de surface, porteur d’une esthétique brute, chaleureuse et profondément ancrée dans le territoire agricole.
Réalisée en partenariat avec l’entreprise spécialisée Art Can, cette méthode combine le savoir-faire traditionnel et les exigences d’un chantier contemporain. En atelier, les murs sont montés dans des coffrages en bois autour d’une ossature légère. Le béton de chanvre est déposé en couches successives, puis tassé manuellement à la main, assurant une densité homogène sans compaction excessive. Ce processus, bien que artisanal, est d’une grande rigueur. Il permet de contrôler la qualité, limiter les déchets, et surtout, de réduire significativement les délais sur chantier : là où un coulage sur place aurait nécessité plusieurs semaines de séchage, les murs préfabriqués peuvent être livrés et montés en quelques jours.
Le contexte
L’implantation de la maison est orientée sur un axe nord-sud suivant les courbes de niveau du site, dans une logique topographique plus que bioclimatique. Ce choix atypique répond à une volonté d’ouvrir la maison sur les vues imprenables vers Carleton-sur-Mer et la Baie des Chaleurs, notamment à l’est et au sud, tout en limitant les ouvertures à l’ouest, face aux vents dominants. L’inertie thermique du béton de chanvre permet de réduire les effets de surchauffe en été, en complément de dispositifs architecturaux bien pensés. Le volume est légèrement encastré dans la colline pour préserver la ligne du sommet et protéger les vues, tout en évitant les garde-corps superflus qu’aurait imposé un bâtiment surélevé du sol. L’implantation et la volumétrie répondent à la volonté d’inscrire le bâtiment dans son site plutôt que de l’imposer.
Organisation spatiale
La maison est structurée autour d’un corridor central polyvalent, qui distribue deux chambres flexibles. La principale peut faire office de bureau et offre un panorama sur Carleton. La seconde, reliée à une salle d’eau, ouvre sur la terrasse ouest. Le salon, la cuisine et la salle à manger forment une aire ouverte traversée de lumière avec un accès direct vers les terrasses extérieures. La salle de bain principale participe aussi à cette relation intime au site : on y trouve un bain, une douche spacieuse et, surtout, une porte qui mène directement vers l’extérieur où une douche prolonge l’expérience.
À l’intérieur, le refus d’utiliser du gypse n’est pas un simple choix technique, mais une prise de position architecturale. Il s’agit de proposer une alternative durable et expressive à ce matériau devenu omniprésent. Les lambris de bois clair et les enduits à la chaux sur les cloisons remplacent les surfaces planes et figées par des parois plus vibrantes, respirantes, et plus humaines. Ce choix influence non seulement l’esthétique, mais aussi l’acoustique et la perception sensorielle des lieux : les espaces sont feutrés, chaleureux, et dégagent une atmosphère enveloppante qui contraste avec la froideur de la construction conventionnelle.
Une architecture de bois, de lumière et de mouvement
Des débords de toit et des panneaux coulissants sur rail – faits sur mesure – permettent de moduler la lumière et l’intimité. Ces écrans en bois obstruent jusqu’à 70 % du rayonnement solaire, créant une architecture vivante, mobile, réactive aux saisons et à l’usage. Il est donc possible de proposer de larges ouvertures pour cadrer le paysage tout en limitant les surchauffes.
En façade, le bardeau de cèdre huilé dialogue avec les bâtiments agricoles gaspésiens, tandis que les murs recouverts d’enduit à la chaux apparent (protégés sous les débords de toit et dans les terrasses) révèlent la matière brute. Un plafond en bois se déploie à l’intérieur et se prolonge vers l’extérieur, assurant la continuité des matériaux et des perceptions.
Au nord, là où les ouvertures sont plus restreintes, les panneaux coulissants jouent un rôle fonctionnel supplémentaire : ils intègrent du rangement pour le bois de chauffage et divers équipements extérieurs. Cette stratégie permet de dissimuler les fonctions utilitaires sans rompre la continuité du langage architectural.
Le Grand Largue n’est pas qu’un projet architectural : c’est une maison pensée pour la vie, dans toute sa fluidité et ses rythmes variés. Dès les premières esquisses, l’un des fils conducteurs du design a été la volonté de créer un habitat évolutif, capable de répondre à la fois aux besoins du moment et à ceux à venir.
Cette réalisation est une démonstration sensible et maîtrisée de ce que peut offrir une architecture locale, consciente, enracinée dans son territoire et portée par des citoyens engagés. Elle raconte aussi l’histoire d’un projet où chaque détail a été pensé pour durer, respirer et évoluer. En somme, Le Grand Largue est un lieu de vie enraciné, adaptable, poétique, où chaque mètre carré est investi d’une intention, et où l’architecture se fait complice du quotidien. Elle ne dicte pas les usages, mais les accompagne, dans un dialogue constant entre nature, corps et matières.
Deux terrasses encastrées au centre de la maison contribuent à l’expérience selon les moments de la journée : à l’est, une terrasse intime adossée à la chambre principale, baignée par un puits de lumière ; à l’ouest, une terrasse protégée par des panneaux coulissants qui peut se fermer complètement pour créer un microclimat, surtout avec la présence d’un poêle à bois à l’extérieur qui permet de profiter de cet espace à l’automne et même en hiver. Ces espaces extérieurs prolongent les usages et facilitent les circulations d’est en ouest. La transition entre l’intérieur et le paysage est fluide, continue.
La lumière naturelle devient un élément architectural à part entière. Elle pénètre en douceur à travers les grandes ouvertures orientées selon les vues et les usages. Le puits de lumière au-dessus de la terrasse est éclaire subtilement les espaces au lever du jour, créant un rythme lumineux qui évolue au fil de la journée. Les surfaces en enduit de chaux et les plafonds en bois diffusent cette lumière avec une grande douceur, renforçant le caractère chaleureux et enveloppant de l’habitat.